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Cyril Debon, peintre et céramiste, pour le rire comme pour le meilleur

J’aime bien me dire que je suis le boss

Je n’avais jamais rencontré un patron d’agence de mannequins jusqu’à présent. Or, Dieu sait que ces structures internationales jouent un rôle clé – à plus forte raison dans la capitale de la mode – en proposant des physiques dans l’air du temps pour les présentations des collections. Autant dire qu’avec l’agence Mannequin Madeleine, les podiums sont loin d’avoir tout vu.

Parmi toutes les strates et dimensions qui se superposent dans une ville aussi riche que Paris, j’allais donc entrebâiller la porte d’un univers réservé aux fashionistas, avec ses personnages de l’ombre aussi brillants que secrets, aussi puissants que complexes. Cyril Debon m’a donné rendez-vous dans ses locaux à Aubervilliers ; ce qui ne m’étonne pas. Avec les ateliers des Maisons d’art Chanel logés à deux pas de là dans le flambant complexe 19M dessiné par Rudy Ricciotti ou ceux d’Hermès dans la ville voisine, les coulisses de la haute couture se déplacent vers le nord de l’agglomération.

Cyril Debon semble avoir eu déjà plusieurs vies, comme autant d’explorations qu’il réactualise à sa guise. Ayant commencé ses études dans le design graphique, il les a poursuivies aux Beaux-Arts. Il a commencé par la peinture et en est venu à la céramique après avoir questionné son rapport à la toile. Il a démarré par une production d’artefacts utilitaires avant de se diriger vers la sculpture. M’étant renseigné sur son œuvre et ses activités, je me suis dit qu’avec lui, on ne donnerait pas dans le cartel pompeux, dans l’art corseté. Je me suis dit qu’on allait un peu se détendre. Et en ce moment, une matinée en compagnie de Cyril Debon, assis en boxer dans la position du lotus sur son canapé en tissu vert défraîchi, qui nous parle de son travail avec une gouaille passionnée, ça n’a pas de prix. Son jus brunâtre tiède en guise de café servi dans une tasse louche, non plus. Mais attention, chez Cyril Debon, le relâchement n’est sans doute qu’une attitude esthétique. Car chez ce travailleur acharné, prière d’enlever ses chaussures à l’entrée.

Cyril Debon, en short et claquettes, à son bureau.

Tu es un Bordelais monté à Paris, comme quoi il n’y a pas que l’inverse qui se produit. Quels souvenirs gardes-tu de Bordeaux ?
 
[Long soupir] J’en garde le souvenir qu’il fallait que je m’en aille. Vite. Pendant mes études aux Beaux-Arts, je voyais les artistes des générations qui avaient été diplômées avant moi et j’observais ceux qui restaient, ce qu’ils devenaient. Et en fait, il n’y avait pas de dynamique. Bordeaux n’offre pas de dynamique culturelle pour les jeunes artistes qui sortent des Beaux-Arts. Il y a une offre culturelle mais plutôt grand public, notamment en ce qui concerne l’art contemporain. Il y a des initiatives mais toutes s’essoufflent au bout de deux années d’existence. Donc, il n’y avait clairement aucun avenir pour moi. Mon souvenir de Bordeaux, ce sont des initiatives qui tombent à l’eau… de la Garonne.
 
Et point de vue ville ?
 
C’est une ville bourgeoise. Rien de plus. Ça manque de fraîcheur, de nourriture pour les yeux, pour le cerveau. Je parle pour l’art contemp’. Après, pour la musique et la fête, je me suis vachement éclaté. Il y a une vraie scène musicale avec la culture des caves. J’ai eu plusieurs groupes de musique et là, je me suis éclaté.
 
Ensuite, tu arrives en région parisienne en septembre 2014. Tu débarques où ?
 
Porte d’Orléans. C’est vraiment le cliché du provincial qui monte à Paris et qui visite le premier appart qu’on lui propose. Je connaissais très peu Paris. Je ne connaissais même pas les banlieues comme Montreuil ou Aubervilliers… Je ne connaissais rien. Et donc il y a un propriétaire qui me fait visiter un appart qui me dit : « Voilà, c’est 56 mètres carrés, 1 800 euros par mois, porte d’Orléans… » J’étais là… En fait c’est horrible, on m’a tellement bourré de préjugés comme « Paris c’est cher » que je me suis dit : « Bah, c’est les tarifs. » Donc, j’ai signé pour moi et mes deux colocs de l’époque. On arrive à trois dans 56 mètres carrés porte d’Orléans pour 1 800 euros quoi ! On s’installe, on trouve des boulots et puis surtout, on bosse tous à la maison. En plus, on est tous les trois peintres : Louis Granet, Alice Hauret-Labarthe et moi. On a les crocs de ouf, donc ça passe en fait. Et puis, au bout de quelques mois, on se rend compte qu’on se fait entuber. Et direct, on arrive en juin 2015 dans cet appartement. Ça fait sept ans que j’y suis. On l’a pris à deux avec Louis Granet, parce qu’il n’était pas cher et, surtout, il nous permettait de bosser à deux à la maison. Il fait 90 mètres carrés pour 550 euros par mois chacun. Le salon dans lequel on se trouve aujourd’hui, c’était le bordel. Lui, il bossait dans la partie salle à manger et moi dans la partie salon. Il y avait de la peinture partout. Y’en a encore au sol. J’ai un peu peur pour la caution…
 
Aubervilliers, c’était une ville que tu connaissais ?
 
Nan, je ne connaissais rien du tout. Mon coloc a visité ; moi je travaillais comme agent d’accueil au musée Picasso. Je n’ai pas pu faire la visite. Mais Louis m’a dit : « Vas-y, c’est sûr on le prend et on se met au vélo direct parce que les transports c’est l’enfer. » Et puis voilà, j’ai appris à vivre à Aubervilliers, à kiffer Aubervilliers.
En deux mots, c’est quoi l’ambiance ?
 
C’est ambiance « faut pas se plaindre des comportements ». Il faut passer au travers de tout ce qui ne va pas. Y’a plein de choses qui ne vont pas mais on s’y fait. Ça fait presque huit ans que je suis là et j’ai vécu avec plein de personnes différentes ici. Pour les filles, c’est pas cool. Mon ex habitait ici, elle se faisait emmerder tout le temps. Mon frère aussi n’a pas aimé du tout. Il a vécu à Malaga et à Berlin. Il est venu ici et il n’a pas apprécié. Mais l’ouverture du métro, ça a changé les choses. Pas encore dans le sens de la fréquentation, parce que ça met plus de temps. Sinon ça se gentrifie quand même à mort en ce moment ici. Mais surtout, ce qui change, c’est que tout mon quartier a été en chantier depuis que je suis là. Et quand ils ont fini les travaux, qu’ils ont enlevé les barrières, ouah, on a vu l’horizon se dégager. Et ça, c’est le premier changement que je vois et c’est un super changement. Pour tout le monde. C’est génial.
 
Donc tu as fait ton trou à Paris quand beaucoup de Parisiens désormais cherchent à quitter l’agglomération à cause de toutes les contraintes dont ils ont pris conscience pendant la Covid : prix, densité, transports, travaux…
 
Ça, ça concerne des gens qui sont montés à Paris pour le business. Moi je suis monté pour plus que du business. Moi, c’est pour tout. En fait mon travail, c’est ma vie. Je viens chercher ici la culture, des vernissages tout le temps, des expos tout le temps, des projets, des rencontres, un écosystème que tu n’as pas ailleurs. Et puis je me plais dans tout ce qui ne va pas à Paris. On m’a bien formé. On m’a tellement dit « tu vas en chier » que quand je suis arrivé, j’étais prêt. Je me suis adapté. Je ne souffre pas de Paris. Mais plus de ses habitants, j’ai croisé de vraies têtes de con. Mais je n’ai pas de problème avec la ville en soi. Plus j’y suis, plus j’apprécie d’y être.
 
Venons-en à ta démarche. Je la placerais volontiers sous le signe de la fantaisie, de l’humour, du décalage. Comment est-elle reçue, notamment dans un marché de l’art contemporain parisien qui peut être un peu sérieux, collet monté ?
 
Ce sont des questions que je ne me pose absolument pas. Je ne me suis jamais placé dans ma pratique en termes de stratégie : « Alors il y a ça, est-ce que je dois faire ça ? » Jamais de la vie. Moi je fais ce qui me fait marrer depuis que je fais de la céramique. En peinture, j’étais un peu plus coinços. J’avais une approche conceptuelle, je voulais plaire un peu à tout le monde, aux élites comme à mes proches. Et je me suis un peu perdu là-dedans. Mais en céramique, je fais exactement ce que je veux, ce qui me fait marrer. Et ça marche. Enfin j’estime que ça marche. Je vends un petit peu et le public de mes expos est souvent mort de rire. Il ne faut pas avoir peur de l’humour.
Autant jusqu’à présent ta démarche en peinture semblait référencée, autant ta démarche en céramique paraît plus libre…
 
En peinture, au début, il me fallait énormément d’images de référence. Je passais beaucoup de temps sur le site de la bibliothèque de New York, ils ont un fonds digital d’images scannées en haute définition en libre-service. Je récupérais des gravures comportant des personnages dans le décor, parce que moi ce que j’aime, c’est la figuration. J’avais des fichiers avec des détails de ouf. C’était le point de départ pour des peintures en couleurs. Je transposais des petits personnages perdus dans un fond noir et blanc en de grandes peintures en couleurs. C’était ça mon processus jusqu’à maintenant. Et ce qui a été fabuleux avec la céramique, c’est que je n’ai plus eu besoin de références.
 
Tu t’es inspiré de peintures disons « académiques » que tu transformais en pochettes surprises remplies d’œuvres d’art de toi et tes amis par exemple. C’était déjà une approche plutôt décalée qui déconstruisait la peinture : une toile pliée en cornet. Ensuite, tu as investi la céramique où tu t’es libéré artistiquement, en véritable autodidacte pour le coup. Ceci expliquant peut-être cela.
 
Total. Au départ, je suis venu à la céramique pour prolonger la peinture, je suis arrivé à la céramique par le décor, pour peindre sur des assiettes. J’ai commencé comme ça, en achetant des assiettes en porcelaine et je peignais dessus avec des pigments. Je faisais cuire mes pièces chez des particuliers à Paris qui m’ont escroqué pendant quelque temps en me faisant payer la cuisson 50 balles pour quatre pièces. Donc j’ai acheté mon four perso que j’ai foutu dans mon salon. Il était là, dans le coin au fond à droite. Faut pas que je pense à la caution… Bref, comme j’avais un four, petit à petit j’ai eu envie de faire autre chose que juste du décor. Le fait de l’avoir ici, d’être indépendant, de pouvoir lancer des cuissons n’importe quand, ça m’a libéré. Je ne connaissais pas de céramiste, je me suis formé sur YouTube avec des tutos, notamment ceux de la chaîne Jean-Luc Benoist. C’est un bon vulgarisateur en mode artisan.
 
Au fond, tu as reproduit ce que font beaucoup d’artistes ; tu as fait ton œil en le confrontant à une tradition artistique «classique» que tu as déconstruite pour t’en affranchir avant de te lancer dans une démarche autonome.
 
Oui. J’ai pu m’en affranchir grâce à l’étape de la céramique. Y’a deux ans encore, je ne pouvais pas commencer une peinture sans modèle. J’avais besoin de tout un baluchon d’images de référence sur mon dos. Et ce qui est fou c’est que cet été, dans mes nouvelles peintures, comme pour la céramique, je n’ai plus eu besoin de ces images. Je me suis libéré du poids des références.
Dans ta production de céramiques, il y a des formes auxquelles tu sembles être venu naturellement, les formes animalières.
 
Les animaux me font beaucoup rire. Ça fait rire tout le monde. Qu’est-ce qui fonctionne le plus sur les réseaux ? Ce sont des compils d’animaux qui font rire. Ensuite, c’est extrêmement compliqué de sculpter des humains. Très rapidement on arrive à faire des monstres. Des trucs effrayants que tu n’as pas du tout envie de montrer. Donc, si tu veux te rapprocher de la figuration humaine, c’est un bon départ de partir d’animaux pour les emmener petit à petit vers des figures anthropomorphes. Par ailleurs, je me garde la figure humaine pour la peinture. C’est un peu une frontière qui distingue mes pratiques. Les humains pour la peinture, les animaux pour la céramique. Ce sont des choses qui se sont emboîtées un peu comme ça.
 
Tu as commencé à faire des séries de céramiques avec des chiens et puis tu en es venu à faire des grenouilles.
 
C’est arrivé un peu par hasard. C’était pour une exposition à Marseille, on m’avait commandé des coquetiers décorés car il allait y avoir plein d’œufs au vernissage. J’ai commencé à réfléchir et je me suis dit « nan mais ça me soule ». Je leur ai dit : « Je ne vais pas vous faire des coquetiers mais des animaux qui tiendront les œufs dans leurs mains, avec leurs pieds, sur leurs dos. » J’ai fait une série de trois gros animaux, un teckel, un crapaud et un canard. Et après, des petits modèles de grenouilles qui faisaient des poses de gymnastique, et j’ai trouvé ça trop cool. Je me suis dit : « Ces personnages sont marrants, ils ont tous leur personnalité. OK, on va les regrouper sous un label. » Et j’en ai fait une agence de mannequins. C’est marrant, j’ai tout de suite appelé ça « Mannequin Madeleine ». Mais je n’avais pas encore en tête de leur faire porter des vêtements. Et au bout de deux mois, je me suis dit : « OK, vas-y, fais des vêtements de grandes marques pour que ce soit une vraie agence de mannequins. »
 
Aujourd’hui tu te définis entre autres comme le patron d’une agence de mannequins.
 
C’est une série dans ma pratique, la série Mannequin Madeleine. Et oui, j’aime bien me dire que je suis le boss de cette agence, je fais les castings, je réponds aux mails, je sélectionne les marques, je fais le shooting, je fais tout. C’est assez drôle.
 
Est-ce que tu penses qu’il n’y a pas un peu de domination paternaliste un chouia old school dans ta démarche ?
 
Oui, franchement, on peut trop me critiquer là-dessus. Mais il se trouve que mes mannequins passent plus de temps en vacances qu’à bosser. Si on fait le compte, y’a cinq ou six pièces avec des mannequins qui travaillent, c’est-à-dire qui portent des fringues, et tout le reste du temps, elles sont en train de chiller mes grenouilles. Si on prend comme base les 35 heures, elles sont à un 10 heures par semaine. Je suis un boss cool. Enfin je trouve. Il y a trois temps : le temps où elles portent les vêtements, le temps où elles font la promotion de la marque de mannequin, donc les produits dérivés, tout ce qui est cendriers, théières Mannequin Madeleine et autres, et ensuite le temps où je les représente dans leurs loisirs, dans leur détente. Et finalement, si on fait le ratio, elles sont plus souvent en train de rien foutre, c’est-à-dire de se pavaner à un balcon, où, tout dernièrement, pour Solitude Club, d’être en vacances. J’ai fait une plage avec plein de transats et les grenouilles chillaient. Y’avait juste un shooting sur la plage ; c’était un shooting Rick Owens, avec une mannequin qui portait une robe Rick Owens, et un photographe. Mais je comprends cette question. Il y a d’ailleurs une cellule d’écoute chez Mannequin Madeleine.
Tu n’as pas profité de ton ascendant pour avoir une relation particulière avec l’une ou l’autre de tes mannequins qui pourrait te le reprocher ?
 
Non non…
 
Il y a un vif débat au sein des fédérations sportives sur la question des athlètes transgenres. Est-ce que Mannequin Madeleine est ouverte aux grenouilles transgenres ?
 
Oui, évidemment. Elles ou ils n’ont pas véritablement de genre et décident ce qu’elles, ils ou iels veulent être. Parfois ces créatures ont des slips bien remplis, parfois on ne voit rien. Parfois elles ont des soutiens-gorges… Donc c’est une agence assez ouverte qui s’affranchit des critères ultra-draconiens qui peuvent avoir cours dans l’industrie de la mode en termes de poids, de taille, de silhouette… Je t’avoue cependant que mes mannequins sont assez filiformes. Je kiffe les personnes assez élancées. J’ai un peu le rôle d’un dieu dans cette agence puisque je les façonne… Putain, c’est hyper compliqué… Il y a un minimum de critères d’esthétisme. Il en faut pour tous les goûts. Aujourd’hui, il y a différents types d’agence. Je reste dans une espèce de tradition des silhouettes assez élancées.
 
On t’a déjà posé la question de l’exploitation animale ?
 
Parfois ma mère me lâche des « coms’ » sur Insta. Terrifiant. J’avais fait une série d’assiettes animaux, des animaux qui portaient sur leur dos des assiettes. Et ma mère m’a lâché un com’ très premier degré, genre « C’est horrible, il a l’air d’être écrasé par l’assiette, ça va pas. » Elle était triste pour le chien qui était quand même dans une position un peu marrante, il avait l’air de rigoler. Je pense qu’elle avait un peu raison. Je ne le referai plus.
 
Tu peux me dire un mot de Poush, l’incubateur d’artistes où tu es en résidence ?
 
Poush, ça a été pour moi le truc que j’attendais. Enfin pas forcément ce format-là, mais d’un point de vue financier, c’était un truc qui manquait à Paris. C’est-à-dire que toutes les places en atelier, c’était 350 balles par mois pour avoir une planche sur des tréteaux et un bout de mur. J’avais pas les moyens de me payer ça. Et quand Poush est arrivé, ils proposaient des tarifs  abordables. Quand je m’y suis installé, pour moi c’était 15 mètres carrés à 170 euros tout compris, chauffage, électricité. Tu sais, l’économie dans la vie d’un artiste, c’est ce qu’il y a de plus compliqué à supporter. Ça c’était un super point. Donc j’ai candidaté et j’ai été pris. Et ensuite, j’ai eu la surprise de découvrir cette formule où c’était à l’époque 200 artistes dans une tour de 16 étages avant réhabilitation. Donc ça a créé une émulation folle sur tous les points : de l’amitié, de la créativité, de la construction de projets ; financière aussi, avec beaucoup de passage, l’échange des réseaux de chacun. Une proposition qui n’existait pas pour les artistes et pour le public. Ça a tout changé.
 
Est-ce que tu vas revenir à la peinture ? As-tu réfléchi à une nouvelle direction ?
 
C’était la mission de l’été dernier. Me remettre à la peinture. Trouver une formule, quelque chose. C’est mission accomplie. Je n’ai jamais abandonné la peinture. C’est vital pour moi. Mais à partir du moment où je ne tire plus de plaisir de quelque chose, je fais une pause. J’ai toujours beaucoup de plaisir à la céramique, mais j’avais cette petite voix en moi. J’ai beaucoup d’amis-amies peintres et je les voyais avancer et ça me démangeait. Il fallait que ça revienne. Mais là c’est bon. Il y a d’ailleurs des ponts qui se sont faits avec Mannequin Madeleine.
J’aimerais te demander quel est ton sentiment sur la place qu’occupe l’art dans notre société ?
 
Je n’aime pas quand un artiste va développer un discours métaphysique ou spirituel sur son travail. Ça me gonfle, un truc de fou. Tu peux interroger des trucs très concrets, quand tu fais un art engagé par exemple, tu peux poser des questions pour dénoncer ou critiquer. Mais tout ce qui tourne autour de l’expression des sentiments ou des énergies, je trouve que ça rentre dans une mode qui me gonfle. Je pense que les pièces doivent parler à l’âme de la personne. Mais mon discours, il n’est pas fondé là-dessus. Je te parle d’agence de mannequins, de grenouilles modèles, mais je ne te parle pas de spiritualité, d’émotions, tout ça. Le pouvoir émotionnel d’une œuvre, sa capacité de stimulation, vient de l’œuvre, pas du discours qui l’accompagne. Pour moi, il y a des œuvres qui viennent gratter une corde et je n’ai pas besoin d’explications.
 
Je reformule : l’art est-il une méta-religion qui se serait substituée aux religions traditionnelles dans nos sociétés laïques ?
 
C’est le collectionneur qui va créer le corpus de sa religion avec tous les mythes que peuvent véhiculer les œuvres, en ajoutant des pièces, en les combinant. Il va créer un récit qui résonne forcément spirituellement chez lui.