Habiter Demain, 24 h pour imaginer le futur des villes
Un laboratoire à ciel ouvert au croisement de l’architecture et de la transition écologique
Par notre reportrice, Justine Villain - Lefrançois
À l’heure où les enjeux liés à l’habitat, à la transition écologique et au vivre-ensemble se retrouvent au cœur des préoccupations contemporaines, BNP Paribas et l’Académie de France à Rome - Villa Medici ont co-imaginé Habiter Demain, un nouvel événement prospectif et engagé, au croisement de l’architecture, de l’écologie et de l’intelligence collective. Intégré à la programmation du Festival des Cabanes, ce cycle inédit de rencontres a fait dialoguer artistes, philosophes, architectes et acteurs économiques autour d’une même question : comment penser et construire l’habitat du futur ? Sloft magazine y était. Récit.
Peut-on encore construire ? La question volontairement provocatrice de Ghislain Mercier, Directeur de la Transformation Écologique chez BNP Paribas Real Estate Promotion, a ouvert les débats de la première édition d’Habiter Demain les 3 et 4 juillet derniers. Face à l’urgence climatique, à la crise du logement et à l’effondrement du lien social, architectes, chercheurs, penseurs et entrepreneurs ont ouvert un espace de dialogue et de débats pour tenter de dessiner, ensemble, les contours de l’habitat du futur. Rythmé par des tables rondes, des performances et des lectures inspirées, l’événement inédit dans son format a pris racine dans un lieu chargé de sens : l’Académie de Rome - Villa Medici, véritable joyau de la Renaissance avec ses jardins suspendus sur la cité romaine. À travers Habiter Demain, BNP Paribas et la Villa Medici dévoilent un partenariat à la croisée de l’engagement environnemental, social, de la prospective et de la création artistique.
Sam Stourdzé, Directeur de l’Académie de France à Rome – Villa Medici et Elena Goitini, CEO de BNL et Responsable de BNP Paribas en Italie, inaugurent la première édition de Habiter Demain.
Quelle ville mieux que Rome incarne l’habitat d’hier pour parler de l’habitat de demain avec des constructions vieilles de plus de 2000 ans ? Des constructions qui sont toujours utilisées, comme le Panthéon avec sa célèbre coupole de tuf et de béton, quand nous en sommes à détruire des bâtiments qui n’ont pas passé le siècle, voire de demi siècle. En cause : des matériaux “multicouches” irréparables, entraînant une accélération de la consommation du bâti, qui pendant longtemps incarnait la permanence. Comment en sommes-nous arrivés là ?
« La ville de demain est déjà là mais elle n’est pas adaptée. », alerte Ghislain Mercier en guise d’introduction de la table ronde inaugurale, modérée par Jean Desportes, le rédacteur en chef de Sloft Magazine. Avant de lancer la question qui fâche : « La question à se poser n’est plus seulement comment construire mais faut-il encore construire ? ». Si le constat est sans appel – un tiers des émissions du secteur immobilier est dû à la construction et deux tiers à l’usage -, la trajectoire, elle, est claire. Il faut diviser par deux l’empreinte carbone du secteur d’ici 2030. Face à ces constats chiffrés et aux limites d’un modèle dépassé, les discussions convergent vers de nouveaux modes de construction. « Pendant des décennies, nous avons conçu l’architecture comme une idée à poser sur un terrain vierge. Il est temps d’écouter la matière. », plaide l’architecte Alia Bengana. Elle défend l’émergence d’un nouveau vernaculaire, fondé sur des matériaux anciens mais réinventés : la pierre, la terre, le bois, le chanvre. « Réemployer n’est pas une innovation, c’est un geste ancestral. » Un retour à l’essentiel que partage également Marie-Laure Stefani, enseignante-chercheuse à Junia, l’école des transitions. Elle défend l’approche rigoureuse du triple zéro : zéro carbone, zéro déchet, zéro impact. « Dans la nature, il n’y a pas de déchets. Pourquoi en créer ? » A l’issu de ces premiers échanges, le cap est clair : l’habitat du futur se veut un écosystème vivant, résilient et frugal. Le ton de ces deux journées est donné.
La première table ronde de la journée a réuni Ghislain Mercier, Directeur de la Transformation Écologique chez BNP Paribas Real Estate Promotion, l’architecte Alia Bengana et Marie-Laure Stefani, enseignante-chercheuse à JUNIA, l’école des transitions. Une discussion animée par Jean Desportes, rédacteur en chef de Sloft Magazine.
Après avoir exploré les enjeux autour de la construction et des ressources, les discussions se déplacent vers un autre pilier essentiel de l’habitat, l’humain. La seconde table ronde de la journée recentre l’attention sur le collectif. Car « Habiter, c’est aussi et avant tout vivre ensemble », rappelle en introduction Tara Heuzé-Sarmini, fondatrice de Commune, les premières résidences de coliving dédiées aux familles monoparentales. L’entrepreneure sociale dénonce une ville conçue « pour un homme, valide, sans enfants » et devenue invivable pour les plus fragiles. « Les familles monoparentales, les personnes âgées, les étudiants précaires ne trouvent plus leur place dans une ville de plus en plus individualiste. ». Sa réponse ? Imaginer une architecture du lien, fondée sur des usages partagés : cuisines collectives, toits mutualisés, jardins communs. Autant de lieux où l’on réapprend à faire société. Pour Tara Heuzé-Sarmini : « Fait vaut mieux que parfait. Il faut recréer du lien, pas des tours. » martèle-t-elle. Dans la même veine, Moussa Camara, fondateur de l’association Les Déterminés (un programme d’accompagnement à l’entrepreneuriat en banlieue et dans les milieux ruraux) replace les quartiers populaires au cœur du débat. Trop souvent absents des politiques d’aménagement, ils regorgent pourtant de potentiels ignorés. « Des pieds d’immeubles à réinvestir, des jeunes motivés, des savoir-faire à transmettre. On n’a pas besoin de tout démolir pour recréer. Avant de s’occuper du bâti, il faut s’occuper de l’humain. »
C’est précisément ces réflexions que BNP Paribas a voulu encourager en co-créant Habiter Demain. « Ce n’est pas juste un événement. C’est une colonne vertébrale. », affirme Anne Pointet, Directrice de l’Engagement d’Entreprise du Groupe BNP Paribas. Le projet s’inscrit dans une logique de transformation en profondeur, pensé dans la durée autant que dans l’action. « Je pense qu’il est bien de prendre une petite pause, de temps en temps, pour respirer, se poser, réfléchir, se projeter, mais pas simplement de façon intellectuelle ou conceptuelle, se projeter dans l’action. » Une démarche cohérente avec l’ADN du Groupe. « Nous sommes une grande institution financière avec 200 ans d’histoire, on se projette sur le très long terme. L’habitat durable, c’est un chemin naturel vers ce long terme. » Mais au-delà des stratégies, une conviction s’impose, celle que la transformation commence par une expérience sensible : « L’émotion permet de passer à l’action. »
Si la nature est au cœur des discussions, les jardins suspendus de la Villa Medici ne sont pas un simple décor : ils sont un acteur à part entière de l’événement. Ils se traversent, se vivent, s’expérimentent.
Rencontre avec Anne Pointet, Directrice de l’Engagement d’Entreprise du Groupe BNP Paribas, qui a partagé avec l’équipe de Sloft Magazine sa vision et le sens de l’événement Habiter Demain.
À la nuit tombée, les jardins historiques de la Villa Medici s’animent pour la Nuit des Cabanes – Habiter Demain : une parenthèse festive, engagée et artistique (A retrouver dans notre reportagedédié.)
Le lendemain, la discussion prend une tournure plus territoriale. « En pays inondable, il faut vivre avec l’inondation, pas contre. », affirme l’architecte Éric Daniel-Lacombe, défendant une architecture capable de composer avec les aléas du climat plutôt que de les contrer. Face à lui, Alice Leguay, de la Circular Bioeconomy Alliance, appelle à une approche biogéographique de la ville, ancrée dans les spécificités écologiques de chaque territoire et de chaque paysage. « Certains changements radicaux sont essentiels. Il faut aider à mourir des systèmes qui ne nous servent plus. La régénération ne peut exister que si on accepte de composter les choses. » Mais derrière cette rupture, une question essentielle demeure, éthique autant que politique : « Comment être un bon ancêtre pour la 7e génération d’humains à venir ? » Il y a fort à parier que les réponses poseront les fondations d’un futur habitable.
Table ronde du deuxième jour : l’architecte Éric Daniel-Lacombe et Alice Leguay, de la Circular Bioeconomy Alliance, ont échangé lors d’une discussion animée par Julien Tauvel, designer et co-fondateur du studio Imprudence.
Dernier expert à prendre la parole, Carlos Moreno n’y va pas par quatre chemins. Pour le professeur-chercheur, le théoricien de la ville du quart d’heure, il est temps de rompre avec les vieux réflexes de l’urbanisme du XXe siècle. Selon lui, la séparation rigide des fonctions, la zonification des usages et l’éloignement systématique des services du quotidien ont creusé les fractures sociales et territoriales. Graves erreurs. « Nous vivons encore au XXIe siècle avec des paradigmes du XXe : zonification, séparation fonctionnelle, héritage de la Charte d’Athènes. Il faut passer d’un urbanisme orienté vers les infrastructures à un urbanisme orienté vers les services. » Son modèle repose sur une proximité plurielle : sociale, fonctionnelle, géographique. Sa vision de la ville intelligente ? Une ville réversible, régénérative, à hauteur d’habitant. « Ce n’est pas parce que vous avez de grands mètres carrés à l’intérieur que votre vie est de qualité. La ville centrifuge pousse les plus précaires toujours plus loin des services essentiels. » Mais malgré ce constat, Carlos Moreno reste optimiste : « Comme dirait Antonio Gramsci (philosophe italien) il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté. » Et Habiter Demain en fut l’expression concrète : un espace où penser la complexité du présent permet, malgré tout, de projeter des futurs habitables. Et donc désirables.
Habiter Demain, c’est aussi faire entendre des voix engagées, comme celle de Carlos Moreno, théoricien de la ville du quart d’heure.
À la Villa Medici, l’architecture devient un art de penser autant qu’un geste de bâtir. Le lieu, à la fois symbolique et ouvert, a joué un rôle central dans cette première édition.
« On a compris pourquoi il fallait le faire ici : unir les rives, le passé, le présent, le monde économique et culturel, les différentes générations… », nous confie Anne Pointet en clôture de l’évènement. Et Sam Stourdzé d’ajouter : « Habiter la ville c’est la penser, l’imaginer, la mettre en scène. C’est ce qu’on a fait modestement toutes et tous ensemble durant cette manifestation nouvelle et très participative. » Deux jours de discussions n’auront évidemment pas suffi à résoudre les crises multiples qui traversent nos manières d’habiter. Mais ils auront permis d’esquisser des pistes, de partager des visions, de décloisonner des mondes. Et d’imposer la conviction que l’habitat de demain ne sera ni vertical, ni hors-sol. Il sera attentif, réparateur, composite. Il reliera les matériaux, les générations, les usages. Il composera avec les territoires, plutôt que les nier. Et surtout, il réinstallera l’humain et le vivant au cœur de tous projets.
Clap de fin avec les mots de Sam Stourdzé, Directeur de l’Académie de France à Rome – Villa Medici : « Habiter la ville, c’est la penser, l’imaginer, la mettre en scène. C’est ce qu’on a fait, modestement, toutes et tous ensemble, durant cette manifestation nouvelle et très participative. »
La Villa Medici a accueilli cette première édition d’Habiter Demain, posant les bases d’une réflexion au long cours sur l’habitat du futur.
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