Passé et présent habilement mariés dans 70 m² à Lyon
Un vieux canut reprend des couleursAcheter un appartement canut, c'est s'offrir un petit bout de l'histoire lyonnaise. Installés dans des immeubles colorés du quartier de la Croix Rousse, ils abritaient au XIXe siècle les ouvriers tisserands (les canuts) et leurs métiers à tisser, nécessitant une importante hauteur sous plafond et de grandes fenêtres pour un maximum de luminosité. On y trouve souvent des poutres en bois apparentes, des murs en pierres et des tomettes au sol. Autant de spécificités très recherchées de nos jours, et qui font désormais le bonheur d'Amélie et P. O., heureux propriétaires de l'un de ces petits bijoux. Pour remettre au goût du jour (et surtout à leur goût !) ce lieu chargé d'histoire sans le dénaturer, ils font appel à Célia Reubrecht du studio lyonnais Craie Craie. L'architecte découvre de beaux volumes, avec une pièce de vie très agréable offrant une vue dégagée sur la presqu’île lyonnaise, et des poutres apparentes provenant d’un plafond à la française d’origine. Toutes les pièces « techniques » (cuisine, salle de bains, w.-c.) sont sur un côté de l'appartement, ce qui laisse libre le reste de la superficie. Une mezzanine déjà en place fait office de chambre et deux pièces secondaires peuvent servir de chambre ou de bureau. Mais l'appartement souffre de travaux antérieurs de mauvaise qualité et de l'utilisation incohérente des espaces. Le plan ne subira pas de grands changements, le travail consistant surtout à revaloriser les volumes et assigner une vraie destination aux pièces. Un rafraîchissement en somme, mais avec tout de même beaucoup de démolition et de remise en état ! La démolition a en effet été une grosse étape du chantier, durant laquelle une partie du projet s’est affinée pour s’adapter au mieux à l’existant afin de donner une réponse cohérente au lieu. "Notre volonté était de conserver les matériaux existants et de leur redonner vie, tout en les faisant contraster avec des éléments plus contemporains, en jouant avec des aplats de couleurs et de textures", explique Célia. La pièce à vivre, centrale, est mise en valeur par la teinte uniforme et intense des murs et du plafond (Inchyra blue de Farrow&Ball). Son parquet d'origine, récupéré sous le parquet flottant posé par l’ancien propriétaire, est remis à neuf. Cet espace se tourne encore plus vers l’extérieur avec l'installation d'une grande verrière dans un pan de mur, permettant de profiter de la luminosité d'une fenêtre supplémentaire qui se répand également dans la cuisine ouverte grâce à un subtil jeu de miroirs. Une vraie place est donnée à cette cuisine qui s’impose en pièce maîtresse dans le reste de l'espace et propose des matériaux et volumes contrastants. Les « pièces secondaires » sont revalorisées : un atelier ouvert sur le reste de l’appartement et bénéficiant d’une belle luminosité est créé, ainsi qu’une chambre écrin, aux couleurs et revêtements molletonnés, éclairée en second jour. "À son emplacement se trouvait une pièce acoustique dont il a fallu entièrement déposer les multiples épaisseurs d’isolant au mur et au sol, se souvient Célia. Le papier peint découvert en dessous a été conservé et encadré pour servir de niche." L'architecte s'inspire de l’univers graphique de sa cliente, tatoueuse : sobriété, belles lignes et touches de couleurs et d’inattendu qui donnent un twist. Elle veille à laisser toute leur place aux objets fétiches chinés par Amélie, dont le style singulier a également participé à l'inspiration du projet. Des zones sont créées pour la mise en scène de ces objets : étagères de la cuisine, niche de la chambre, meuble escalier Pickawood dans le salon. "Nous avons été confrontés à plusieurs dégâts des eaux durant le chantier qui nous ont obligé de reprendre certains ouvrages, comme le faux plafond de la cuisine", déplore l'architecte. Mais le résultat en valait la peine. Jugez-en par vous-mêmes… Amélie et P. O., les propriétaires, ont pu donner ici forme à leurs goûts esthétiques : sobriété, teintes foncées… et recherche du joli détail qui accroche l’œil et vient bousculer un côté trop sage !
Depuis le 5e étage de cet immeuble traditionnel de canuts, une vue imprenable sur la presqu’île lyonnaise.
Dès l’entrée, l’œil est saisi par la luminosité de l’angle jaune qui tranche avec la peinture sombre du reste de la pièce et donne une autre perspective au volume. Le mur de gauche a été ouvert afin de créer une nouvelle pièce où prend place l’atelier d’Amélie. La porte verrière prolonge la pièce de vie en permettant au regard de se porter jusqu’à la fenêtre du fond, désormais visible.
Jeux de reflets et de lumière dans la verrière, qui accentuent l’impression d’ouverture du volume. Elle a été réalisée sur mesure en métal par un serrurier et thermolaquée en jaune primaire (RAL 1016). L’étagère Pickawood crée un lien avec la mezzanine et sert de présentoir pour les objets de décoration d’Amélie.
Les souvenirs, déco et illustrations préférées des propriétaires ont contribué à l’inspiration du projet. Le vase est une œuvre de l’artiste lyonnaise Manon Oller, alias La Mano Studio.
L’interrupteur « Dooxie » (Legrand) rond et noir est habilement intégré à la mise en scène du mur. Au sol, la continuité du parquet d’une pièce à l’autre renforce l’idée que la pièce de vie se prolonge dans l’atelier.
Le choix d’une verrière type atelier d’artiste, en parfaite adéquation avec la destination de la pièce et l’activité de la cliente, prend ici tout son sens. L’original luminaire Julie Lansom reprend les couleurs du projet avec beaucoup de légèreté (bois peint et fils de couleur).
Nous voici donc dans l’atelier de l’artiste, traité en aplat de blanc comme une toile vide, pour laisser libre cours à sa créativité. La verrière en partie haute a été créée afin d’apporter de la lumière en second jour à la chambre.
La pièce profite de la belle luminosité traversant les fenêtres plein sud de l’appartement. Pour le plateau du bureau, le même carrelage que dans la cuisine a été utilisé (« Suprême » de 41zero42) !
On l’aperçoit au fond, sur le mur, lorsqu’on se retourne vers la pièce de vie. Nouvel écho à l’atelier, on note également la présence dans la cuisine d’une autre suspension Julie Lansom, en robe jaune cette fois-ci.
Un miroir judicieusement placé sur le mur du fond de la cuisine prolonge l’espace : les fenêtres et la verrière s’y reflètent et floutent les limites de la pièce. Pour l’îlot, un stratifié clair (“Chêne Kendall huilé” d’EGGER) reprenant les teintes du sol a été choisi. Dans sa partie basse, un nouvel effet de miroir le fait disparaître et allège son emprise imposante.
Le contraste du jaune et du bleu est rejoué ici, rappel de l’angle jaune côté verrière.
Le bleu sombre appliqué à l’ensemble de la pièce de vie se retrouve sur le meuble bas de cuisine qui fait le lien entre les deux espaces, tandis que la forte présence du carrelage « Suprême » s’appuie sur la sobriété du stratifié bois noir du meuble habillant le mur du fond. Un maximum de rangement a été pensé, tout en limitant les meubles colonnes, car “la cliente ne trouvait pas ça très pratique“.
Les jonctions entre l’ancien et le nouveau sont bien visibles ici : au sol, le parquet existant fait place à un béton brut venu recouvrir le sol de tomettes en mauvais état ; au plafond, le lambris s’arrête à la poutre conservée brute et est remplacé par un nouveau faux plafond peint, créé suite à un dégât des eaux. La cuisine affiche ainsi sa singularité du sol au plafond !
Détail de l’îlot en stratifié miroir, derrière lequel se cachent des rangements. Les poignées, fournies par Amélie, rappellent le carrelage impression marbre du mur.
Le placage miroir de l’îlot se joue de la limite entre sol ancien et contemporain et déforme les perspectives.
Le face-à-face avec le miroir du fond de la cuisine décuple les volumes et nous fait perdre nos repères ! Plan de travail Krion « Antico Bianco », mitigeur laiton TRES, rabattable pour pouvoir ouvrir la fenêtre.
On s’amuse encore un peu des effets de miroir et de la multiplication des fenêtres…
Le plan de travail de l’évier passe sous celui de l’îlot pour une imbrication parfaite des volumes. Les fines poignées sont en laiton (« Swell » de Superfront), comme d’autres détails de l’appartement.
Chaque carreau « Suprême » est unique pour ne pas créer d’effet de répétition. Ils ont trouvé leur place sur un ancien conduit de cheminée, volume que l’architecte et les propriétaires ont souhaité mettre en avant. Les étagères, dans lesquelles sont intégrés des bandeaux LED, semblent flotter sur le carrelage qu’elles viennent assagir de leur rectitude.
Nous quittons la pièce de vie pour nous rediriger vers l’entrée. Sur la droite, nos pas sont guidés par la douce lumière émanant de la chambre, petit écrin de douceur aux murs et plafond roses et moquette au sol. À côté de la porte, un miroir judicieusement placé permet là encore d’agrandir l’espace, en reflétant le mobilier de l’entrée.
Variation de rose, clair sur les murs, foncé au plafond et à l’intérieur de la niche. Cette dernière, créée autour du papier peint découvert lors de la démolition, mise en scène comme une œuvre d’art, sert également de tête de lit. Elle est éclairée par un bandeau LED invisible inséré dans un joint creux. La table de chevet a été chinée par la cliente, tout comme l’applique, sur laquelle on retrouve cette touche de laiton qui lui est chère.
La salle de bains vaut bien un petit coup d’œil avant de quitter les lieux, même si elle n’a pas nécessité d’intervention de l’architecte. Le volume était déjà très bien optimisé et les matériaux cohérents avec le reste de l’appartement : pierres d’origine, plan en bois faisant le lien avec les poutres de la pièce à vivre, mariage de noir et blanc…
Les adresses « les yeux fermés » de Célia Reubrecht :
Pour les vins (mais pas que !) : Satriale propose un choix court et pointu de vins naturels, des soirées musicales live endiablées, le tout dans une déco originale alliant une boîte mezzanine monochrome, au centre, à un périmètre conservé de pierres façon appartement de canut. 1, rue des Capucins, 69001 Lyon
Pour l’utilisation judicieuse des jeux de lumières : le Super 5, un bar de nuit arty où l’esprit de l’ancien garage automobile qui occupait les lieux a été conservé : rideaux en plastique, pots d’échappement en guise de repose-pieds devant le bar… 2, rue de Savy, 69001 Lyon
Parce que c’est chez nous ! La maison Craie Craie, lieu d’architecture et de décoration proposant une curation audacieuse colorée et ludique, va bientôt ouvrir. 17, rue Auguste Comte, 69002 Lyon
Pour son maximalisme très bien traité : le restaurant italien Carmelo surprendra vos yeux comme vos papilles ! 7, rue neuve, 69001 Lyon
Photographies : Sabine Serrad
Texte : Edwige Nicot
Réalisation : Craie Craie