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Marion Mailaender, architecte d’intérieur et designeuse

Résidence vue mer, une vision balnéaire idéale

Marion Mailaender est la présidente du jury de la 8ème édition du festival d’architecture d’intérieur Design Parade à Toulon. A cette occasion, elle investit dans l’Ancien Évêché de la ville plusieurs pièces transformées en un fabuleux appartement de vacances sur la côte méditerranéenne. Visite et rencontre.

Francis Cabrel, Sophie Calle, Betty Catroux, Jean-Michel Basquiat ou encore Virginie Despentes, voici quelques-uns des noms qui s’affichent en toutes lettres sur le lourd interphone en laiton situé à l’entrée de cette Résidence vue mer. Certainement la copropriété la plus artistique de France, une académie les pieds dans l’eau. Oh magie, quand on presse sur l’un des boutons, l’occupant nous répond ! Le ton est donné, chic et décalé. La porte franchie, les pièces sont à l’avenant, conjuguant épure, sophistication, poésie et humour. Un véritable enchantement tant dans les objets les plus volumineux comme la balustrade en savon de Marseille que dans les plus petits à l’image de ces fourchettes à corps de gambas, idéales pour le barbecue, naturellement intégré comme n’importe quel appareil électroménager à la cuisine équipée de cet appartement de vacances. Vous l’aurez compris, il flotte dans cet endroit expérimental un air de décontraction fantasque à l’image du travail de sa créatrice, d’autant plus libre qu’elle joue à domicile ou presque et sans contraintes hormis celles des volumes. Vivant entre Paris et Marseille, Marion Mailaender a grandi dans la cité phocéenne, au milieu de ces édifices dits de « standing » avec halls en marbre, poignées en laiton et stores pour les loggias. Un modernisme un peu opulent typique de ce "French dream" d'après guerre lié aux congés payés et aux vacances qui s'est épanoui sur la Riviera et a façonné son imaginaire. Et qu’elle décline avec bonheur dans ses projets comme au Tuba Club, un ancien club de plongée transformé en un petit hôtel de charme aux Goudes. Less is more, too much is cool, aime à professer l’architecte et designeuse qui aime autant la fonction brute d’un objet qu’au contraire, sa version baroque dans la pure tradition déco française où l’utile est toléré à condition d’être beau. Il y a donc du minimalisme chez Marion Mailaender, mais toujours compensé par une touche généreuse. Il en résulte un équilibre où le volume n’est jamais synonyme de froideur, l’épure jamais ennuyeuse.

Avant de vous ouvrir les portes de sa Résidence vue mer et de retrouver Marion Mailaender dans notre entretien exclusif ci-dessous, nous vous recommandons vivement l’escapade à Toulon pour découvrir son travail mais aussi celui des finalistes. A la clé, une expérience immersive dans des univers singuliers et aussi le plaisir de profiter d’une ville riche en lieux culturels, d’adresses de qualité et de possibilités d’escapades sur le thème de la Grande Bleue.

Un grand paillasson tel un cartel légendant l’oeuvre, un module évoquant une possible piscine extérieure comme les « résidence de standing » en comptent tant, un grand mur en faïence sur lequel se découpe une coupe glacée dessinée par Maggy Champsaur, et de belles boîtes aux lettres en laiton. Dès le hall d’accueil, tous les codes sont posés, et notre curiosité éveillée. Marion Mailaender nous propose de pousser la porte de cet immeuble, transposition poétique de ceux qui ont peuplé son enfance marseillaise.

Nous voici dans le séjour. Au centre de la pièce, une estrade multi-plans sculpte le coin salon en incorporant assises mais aussi podiums pour exposer des oeuvres d’art sur le thème de la mer. La mer justement qu’on aperçoit en filigrane derrière les voilages de la grande baie vitrée. Tandis que les vacanciers s’ébattent dans l’eau, d’autres prennent des cours de planche à voile. Ce sont les nièces et les neveux de Jean-Pierre, le voisin du dernier étage qui s’est mis en tête de les initier au plaisir de la glisse.

En nous retournant, nous découvrons la banquette adossée au podium de l’estrade, dans un esprit décontracté et accueillant avec le plateau à boissons qui s’affranchit de table basse puisque l’espace est déjà surélevé. On note sur le mur à droite de l’estrade l’oeuvre « Collier de dents I » de Laurent Le Deunff. Et sur la gauche, devant la fenêtre, la suspension en verres de lunettes de soleil par Delisle. Derrière, nous découvrons la cuisine ouverte.

Nous voici dans la cuisine de cet appartement de vacances, dans un esprit assez technique comme Marion Mailaender les aime, avec ses grilles à ustensiles et étagères en inox. Un esprit qui dialogue aussi avec la tradition matérialisée par ces éléments bas de cuisine en bâti comme dans un vieux mas, rehaussés de marbre pour le standing. On note les délicieux vaisseliers à lignes sur roulettes, dans un esprit très Andrée Puttman, une designeuse chère à Marion. Avez-vous vu la grille sur la gauche ? Le barbecue n’est pas loin !

À gauche, les irrésistibles fourchettes gambas et à droite, nous en parlions à l’instant, le barbecue de cuisine, élément indispensable d’un appartement de vacances.

Nous arrivons désormais dans la chambre, conçue comme une suite avec sa grande salle de bains surélevée à l’arrière plan. On s’y attarde quelques minutes. Le lavabo-bidet en résine rose ne passe pas inaperçu. En guise de miroir au dessus d’une barre d’exercice, un grand pare-brise réfléchissant. La baignoire et son paravent ont aussi le goût de la réflexion. Pour marquer la séparation avec la chambre, une irrésistible balustrade en savon de Marseille. De quoi rester propre en cas de pénurie !

Le lit est majestueux sous son dais. Mais la pièce la plus impressionnante est certainement son couvre-lit, réalisé par la Maison Lesage, brodeur et tisseur, qui agrège en un gigantesque patchwork des pièces de linge de maison brodées aux initiales entrelacées de leurs propriétaires. La chambre devient la chambre de tous les couples, de toutes les histoires cousues ensemble comme un hommage à l’amour. La tête de lit en panneaux de plâtre, contraste par sa simplicité. Elle est conçue dans la démarche « Architecture à emporter » de Marion Mailaender. Que pensez-vous du vase « chaussettes » en mosaïque sous l’horloge « montre XXL » ? De quoi se réveiller du bon pied. Dans l’univers de la designeuse, difficile de ne pas sourire ou de s’ennuyer !

Il paraît que vous avez une affection toute particulière pour les surfaces compactes…

 

Oui, j’aime beaucoup travailler les petits espaces, j’en ai fait une palanquée à mes débuts, notamment l’appartement de ma sœur à Pigalle, parce que c’est un moyen de faire rentrer toutes les fonctions dans un volume limité, c’est donc un petit « casse-tête », c’est un jeu d’esprit très mathématique, très géométrique hyper stimulant et formateur. Un exercice que j’aime beaucoup faire et qui se retrouve finalement à cheval entre l’architecture d’intérieur et le design qui sont des disciplines au travers desquelles je m’exprime de façon transversale.

 

Pouvez-vous nous parler de la porosité, de l’hybridité entre design et architecture d’intérieur ? Les salons les séparent souvent en se concentrant sur le design et la déco mais justement à la Design Parade Hyères – Toulon, ils sont réunis.

 

Pour moi, ça a toujours été une évidence de passer de l’un à l’autre. Les disciplines ont été séparées mais tard, parce qu’avant, à l’époque du Bauhaus, ou encore avant, plein de choses se mélangeaient, on pouvait faire de l’architecture, de la mode du design. Au fond, la pratique du design comme de l’architecture d’intérieur, c’est assez transversal et cette transversalité ne se limite pas à ces disciplines, il y a des musiciens designers, des artistes qui font de l’architecture… il y a plein de disciplines qui peuvent se mélanger à partir du moment où on est intéressé par la création. J’ai étudié à l’École Boulle l’architecture d’intérieur ainsi que le design et ça rejoint ce que vous défendez dans les petits espaces. C’est-à-dire que de l’objet à l’espace, peu de choses les séparent. Dans l’hôtellerie c’est ce qu’on appelle le FF&E, Fixture, Furniture, and Equipement et c’est tout ce qui tombe par terre quand on retourne l’hôtel. C’est ça la différence, les choses qu’on peut transporter et celles qu’on ne peut pas transporter. Mais c’est le même dessin. Il y a la fonctionnalité, il y a l’usage.

Justement, pour rebondir sur les espaces compacts, comme il y a cet enjeu d’optimisation, l’architecte devient nécessairement designer…
 
Oui, parce qu’il doit dessiner des choses sur mesure !
 
Quand on pense à Ettore Sottsass ou encore à Verner Panton qui nous faisaient sourire dans les années 70-80, aujourd’hui est-ce que l’humour que vous défendez est payant en design et en art ? Surtout dans une époque qui a moins envie de « rigoler » ?
 
L’humour, il traverse les époques. On n’a pas envie de rigoler en ce moment certes, mais il y a eu plein d’autres époques où on n’avait pas envie de rigoler non plus. Donc je le considère comme une arme positive. J’essaye de pratiquer mon métier avec joie, plaisir et humour parce que c’est mon caractère. Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, comme disait je ne sais plus qui, c’est ma philosophie. On fait un métier utile, parce qu’on peut changer les habitudes de vie, améliorer les espaces pour que les gens vivent mieux en s’y sentant mieux, mais nous ne sommes pas non plus des chirurgiens cardiaques. Donc si on ne fait pas ça avec joie, bonheur et humour, on se trompe de métier !
 
Vous collaborez avec de nombreux artisans et ateliers pour vos créations qui mobilisent un grand nombre de savoir-faire. Dans le cadre de la Design Parade, le 19M qui regroupe les métiers d’art de Chanel, met à contribution ses maisons. Pour votre « Résidence vue mer » vous avez bénéficié de l’appui de la maison Lesage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
 
Ils ont confectionné pour moi le couvre-lit de la chambre. J’avais toute une collection de morceaux de draps monogrammés que je chine dans les brocantes ou dès que j’en trouve quelque part, et souvent les monogrammes sont découpés quand les draps sont abîmés avant d’être recousus ailleurs. Souvent, tout ça part à la poubelle et ça ne me plait pas que toutes ces heures de travail, toutes ces heures de vie disparaissent. Donc j’avais toute cette collection et j’ai préparé pour la maison Lesage un patchwork avec de petites épingles et ils m’ont tout assemblé en brodant pleins de carrés enchâssés les uns dans les autres et je leur ai demandé de rajouter par-dessus toute une couture comme un boutis provençal qui est une technique de couture pour molletonner les tissus. Ils se sont arrêtés avec les lignes juste avant les lettres et ça forme de petits nuages gonflés avec les initiales des personnes à qui appartenaient ces draps. Ce sont donc des heures de travail pour rassembler des histoires de vies, des histories d’amour, des histories de familles, le tout dans un même lit ! Ça nous rappelle aussi le temps qu’on prenait pour broder son trousseau.
 
Quand on visite les différents événements de design en Europe, se dégage assez vite une identité pour la scène italienne, idem pour la scène scandinave. Quelle serait, selon vous, celle de la scène française actuelle à laquelle vous participez ?
 
Je ne sais pas trop comment définir une scène, car j’ai l’impression qu’il y en a plusieurs en réalité, il y a plusieurs groupes, des manières de travailler différentes. Moi ce qui m’intéresse c’est la porosité, donc ce sont les architectes et les designers qui travaillent en lien avec les artistes, et qui mettent en oeuvre des idées assez conceptuelles, que ce soit de l’humour ou d’autres notions qui font réfléchir et qui m’attirent.
 
Donc on pourrait dire que, tout comme la French Theory a marqué l’histoire de la philosophie et le monde de la pensée en général, il y aurait une sorte de design ou d’architecture d’intérieur intellectuelle, et qui pourrait être assez française, finalement…
 
Peut-être ! Dans l’idée de donner du sens à l’usage, et vice versa, il y a beaucoup de dualité dans mon travail, je peux avoir des inspirations très pointues et minimalistes et puis des inspirations très pop et parfois surréalistes. Mais il y a des objets que je prends juste pour leur fonctionnalité en me fichant qu’ils n’aient aucune esthétique ou qu’ils ne nous fassent pas réfléchir à partir du moment où ils remplissent parfaitement une fonction. Sans qu’on n’y ait attribué aucun design. Et c’est ce qui m’intéresse dans l’architecture et le design vernaculaire, quelqu’un qui fabrique un objet qui est destiné à une fonction et qui devient beau par lui-même. Mais ça, c’est la grâce.
 
Puisqu’on parlait de touche française, j’ai souvent remarqué que dans ce pays, un objet peut être utilitaire à condition d’être beau : une poubelle publique, une lampe dans le métro, un feu de circulation… À la différence des pays anglosaxons qui sont beaucoup plus fonctionnalistes…
 
Pour moi, un objet qui remplit sa fonction, ça suffit.

Photographies : CHANEL & Jean Desportes
Texte : Jean Desportes