Dossier et entretien réalisé par Matthieu Garrigou-Lagrange

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Ce dossier est issu de
Sloft Édition 01.
On connaissait l’art des Japonais pour les sushis ou les mangas, mais moins leur expertise dans l’aménagement des espaces domestiques. Un savoir-faire qui découle naturellement de la morphologie de leur – petit – archipel. Valoriser les mètres carrés est pour eux une science ancestrale, qui privilégie la poésie à l’optimisation forcenée de chaque recoin. Une surprenante manière de voir pour une sensation d’espace supérieure.
L’intérêt des Japonais pour les petits espaces n’a rien d’étonnant si l’on observe la géographie de leur pays. Comparez plutôt : en France, on compte 118 habitants au kilomètre carré, alors qu’au Japon c’est presque trois fois plus (340) ! Et encore, il faudrait retirer les zones montagneuses, inhabitables, pour arriver à la densité de population réelle soit 1 500 habitants par kilomètre carré. Conséquence logique, les terrains y sont très chers, et la plupart des Japonais doivent se contenter de petits lieux de vie.
À Tokyo, les appartements capsules, dont les surfaces tournent autour de 9 m2, sont célèbres pour leur exiguïté. Sans parler des hôtels où l’on dort dans de véritables placards qui donnent à nos vieux wagons-couchettes des airs de palaces. Ces cas extrêmes sont loin de faire rêver mais donnent une idée de la nécessité absolue qu’ont les Japonais de réfléchir à la meilleure façon de vivre dans des lieux très petits.
Les contraintes de place ont obligé les Japonais à tirer le meilleur de chaque mètre carré, en mettant le plus possible l’accent sur la qualité et la beauté des lieux à défaut de leur taille. Pour l’architecte Isabelle Berthet-Bondet, c’est de cette démarche que l’Occident pourrait s’inspirer. «
Nous consommons trop d’espace, ce qui n’est pas écologique. Tout le monde cherche à avoir sa maison mais les lotissements que nous créons sont souvent peu agréables. On est davantage heureux dans des logements petits mais bien pensés plutôt que dans des maisons ou des appartements spacieux mais standardisés et sans charme. » Par exemple, une belle vue vaut, selon elle, davantage que quelques mètres carrés en plus.
Le confinement n’a fait que renforcer sa conviction que la fonction la plus importante du logement n’est pas d’offrir le maximum de place à ceux qui l’habitent, mais le plus d’apaisement et de quiétude possible. Si tout le monde décidait de s’installer à la campagne pour vivre en pleine nature, cela reviendrait tout simplement à la faire disparaître. Los Angeles, par exemple, est le modèle d’une ville où chacun a cru pouvoir habiter à la campagne, ce qui a créé une ville tentaculaire. Au contraire, il faut faire entrer la nature dans les logements par petites touches, plutôt que de la coloniser et, du coup, de la détruire.