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Entre le feu et la glace, 50 m² à Montmartre

Un intérieur tout en design et contrastes C'est l'histoire d'un avocat d’affaires américain amoureux de Paris qui s'offre un pied-à-terre de 50 m² dans la rue de Norvins, à Montmartre. Ce n'est pas le début d'un pitch de série Netflix mais d'un gros projet de rénovation. Grâce au bouche-à-oreille, sa demande parvient aux oreilles de Karen Tinka, devenue architecte d’intérieur après avoir quitté l’industrie de la mode. Le tandem se forme d'abord au fil de conversations Whatsapp en 2021. Il faudra attendre la livraison des travaux un an plus tard pour une première rencontre physique ! Il faut croire que les liens virtuels peuvent accoucher de projets très matériels dans une parfaite entente ! « Mon client a ouvert l’étendue du projet de m² en m² », se réjouit Karen Tinka, au point de dévier d’un simple rafraîchissement de la cuisine (20 000 € de budget initial) à une révision de l’appartement dans son entier (plus de 140 000 € dépensés). Finalement, la rénovation de ce premier espace, donnant sur le séjour et formant ainsi un ensemble de 26 m², est passé au second plan derrière le travail artistique et « monumental », très graphique, réalisé dans le reste de la pièce à vivre.

Au premier regard, le visiteur - cet intérieur est pensé comme un lieu mondain - saisit l’alliance minutieuse du bleu et de l’orangé. Tandis que sa seconde impression le guide du côté des éléments naturels et physiques, « la glace pour la cuisine, le feu pour la chambre » et leur association pour le salon. Pièce où s’ajoute l’air grâce à la pièce de mobilier maîtresse de l'appartement : une série d’étagères uniques conçues par l’artiste-plasticien Victor Apruzzese, « miroitantes et hypnotiques ».

Cette ligne directrice esthétique dynamisant la rénovation du lieu ne sous-tendait pas la demande initiale de l’Américain. « Mon client, passionné par le bleu, voulait tout en cette couleur, raconte Karen Tinka. Mais le caractère froid de cette teinte ne correspondait pas à sa générosité et son tempérament. Alors je lui ai proposé de penser à la complémentarité. » Le travail aboutit à un équilibre dans le mobilier, les différents meubles choisis et positionnés soigneusement comme des sujets sur un tableau.

L’art, occupant donc une place importante dans cet intérieur, se trouve même dans des endroits moins habituels, car plus petits. Ainsi, Karen Tinka, toujours consciente de la préférence marquée de son client (« Dans les W.-.C, je me suis lâchée sur le bleu »), ose celui d’Yves Klein (chez Ressource) pour les murs et le sol. L’architecte a donc chaperonné une rencontre : celle de deux fanatiques d’azur.

Assis dans le fauteuil, Victor Apruzzese, designer, crée ses étagères uniques grâce à une technique personnelle, déposée à l’Institut National de la Propriété Industrielle, caractérisée notamment par la chauffe d’acier au chalumeau. Derrière lui, l’architecte Karen Tinka, avec qui la collaboration se poursuit.

Dans le séjour, le sol, le mur et le plafond ont été habillés d’une coque de peinture époxy blanche (les poutres ont nécessité six couches). Avec ses jeux de réflexion et sa lumière, elle permet de donner l’impression d’un agrandissement de l’appartement. Un effet utile dans la quête de monumental poursuivie par l’architecte d’intérieur et son client.

De nombreuses sources de lumière sont arrivées à la faveur de la rénovation, comme ces bougies et chandeliers posés sur une enfilade USM et située à l’issue du couloir donnant dans le séjour.

Dans le salon, un canapé Bubble et la table basse Noguchi. Karen Tinka n’a pas hésité à opter pour des meubles imposants, même si leur acheminement n’a pas été des plus commodes aux abords du Sacré-Cœur où la circulation automobile se tarit grandement…

Au mur, deux appliques de la série Compositions par Camille Flammarion.

Le salon dispose de trois fenêtres orientées au sud-ouest qui le baignent de lumière durant une partie importante de la journée. La transparence claire des rideaux, comme évanescents, renforce cette impression.

« Les nuances de ces étagères se révèlent à un moment bien précis de la température, explique Victor Apruzzese, designer et plasticien Français d’origine italienne. Lorsque le chalumeau rencontre l’acier, un rayon lumineux vient caresser la tôle pliée et laisse alors apparaître ces couleurs vives. »

Du temps s’est écoulé depuis la découverte par Karen Tinka des créations de Victor Apruzzese à l’occasion d’une exposition dans le quartier du Marais à Paris. Désormais, leur collaboration s’inscrit sur ces serre-livres signés de leurs noms, au sommet des étagères.

Différents éléments se rencontrent ici : la glace et l’air des étagères et de quelques objets déco et le feu du tapis avec ses deux coussins. Une volute de fumée s’élève même vers le plafond grâce à la couverture du livre Pop Art !

Le tapis orangé The Moor (de chez &Tradition) et ses coussins de chez Brost Copenhagen réchauffent le séjour et permettent « la transition avec la cuisine et son aspect glacial », selon l’architecte.

« Mon client adore les selfies avec sa femme ! », s’exclame Karen Tinka. D’où le choix de ce fauteuil bleu SC23 (&Tradition) et son coussin Paris (Jonathan Adler) afin de suivre un « concept photobooth », avec en prime la vue sur les toîts du quartier de Montmartre.

Un autre maître du séjour, le miroir Kooh-I-Noor, mesurant 2,06 mètres, parfait l’impression d’agrandissement et répond habilement à la transparence de la table basse. À ses côtés, le lampadaire Kushi, « en forme de pomme d’amour », et la chaise Big Game participent à dynamiser cette boîte blanche comme une galerie de design.

Voici le point de départ des travaux de rénovation : la cuisine. Ici aussi, le bleu pâle participe à la construction de la dynamique de contraste entre feu et glace chère à l’architecte. Ressortent visuellement les poignées intégrées en noyer, « essence de bois fil conducteur » qu’on retrouve dans la chambre.

Dans le séjour, la salle à manger est matérialisée par un combo banquette et table sur mesure qui se rencogne dans la profondeur des éléments de cuisine. La table a des dimensions longilignes (160 x 70 cm) pour une élégance discrète. Une cave à vin jouxte cet ensemble.

Le feu couve sur la banquette avec une galette aux tons rouille (Made to measure). Elle est refroidie par l’assise comme un cube de glace, fabriquée par Lise Lalande Atelier. Ces deux objets illustrent la volonté d’employer « un maximum de made in France et made in Europe ».

La recherche inlassable du bleu se poursuit avec cette vaisselle réalisée par la maison Degrenne accompagnée de verres danois (Eva Solo). L’espace salle à manger donne sur la troisième des grandes fenêtres du séjour.

Le choix de ce fauteuil Moustache coloris “blue denim” est un clin d’oeil au style vestimentaire de l’avocat d’affaires. « Mon client porte toujours un jean et une paire de Santiags !, lance Karen Tinka. Grâce à son budget plus large que prévu, j’ai pu m’amuser et viser la personnalisation à l’extrême de l’intérieur. »

Dans la chambre, on retrouve les touches de noyer aperçues dans la cuisine, cette fois-ci en grand. Cette essence de bois dont l’architecte d’intérieur vante la préciosité, est utilisée pour créer une tête de lit « majestueuse » occupant tout le mur du fond et longue de 3 mètres. Une surface qui laisse parfaitement s’épanouir les veinures du bois comme une toile abstraite.

La chambre, « plutôt masculine, uniquement avec des teintes chaudes », s’est construite comme un « refuge sur-mesure » au sein d’un espace de treize mètres carrés « biscornu, en entonnoir ». En effet, la pièce mesure 5 mètres de long et sa largeur varie entre 2,5 et 3 mètres.

Cette tablette apporte du relief à la surface de la tête de lit. La disposition de deux exemplaires du magazine donne corps à la fierté de Karen Tinka : « Après trois ans d’exercice de cette profession, la publication d’un reportage par Sloft à propos d’un de mes projets me paraît un beau symbole. »

Accessible depuis la chambre, la salle de bain « reste plus basique car nous disposions de peu de temps pour les travaux. » Mesurant 5,5 mètres carrés, cette pièce a dû être agencée en prenant en compte un important mur porteur (au centre de la photo) et une poutre IPN à profil normal, permettant les deux arches.

Afin « d’agrandir par le contraste » cet espace, l’architecte a associé la clarté du carrelage mural (monté à mi-hauteur de la paroi) et l’aspect plus sombre de celui du sol et de la marchette, en grès cérame imitant le terrazzo avec ses légères touches orangées.

Au sein de cet intérieur réfléchi, presque intellectualisé, Karen Tinka a admis une respiration, une « touche d’humour » dans les W.-C., en choisissant pour les murs un carrelage italien (Mavi Ceramica) reprenant une lettre particulière de l’alphabet : le Q.

Sur les grandes dalles de carrelage italien aux motifs Bleu Klein très géométriques du sol (produit à la demande), reposent les toilettes Callipyge, de chez Trone. L’architecte d’intérieur a ainsi cherché à jouer avec leur devise : « Quand l’intime devient sublime. »

Les adresses « les yeux fermés » de Karen Tinka :
 
Pour un dîner avec mes amies : Bouche, c’est beau (très beau), c’est bon (très très bon), ils sont passionnés et le tout en circuit court. 85, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris
 
Pour les beaux jours et un drink d’exception : Madame Rêve et sa vue panoramique (église Saint-Eustache, Centre Pompidou…) ! 43, rue Étienne Marcel, 75001 Paris
 
Pour son histoire, son audace et cette rupture architecturale mêlée à l’art que j’aime tant : les Colonnes de Buren de la cour d’honneur du Palais royal. 8, rue de Montpensier, 75001 Paris

Photographies : Jeanne Perrotte
Texte : Valentin Chominenne

Réalisation : Karen Tinka