Le classicisme d’une vieille cage d’escalier avec ses belles pierres apparentes peut être trompeur !
L'appartement expérimental de Valéry-Rose.
Ce quartier, c’est un peu un hasard. Je me suis installée ici y’a 30 ans, en sortant des Beaux-Arts. J’ai vu la petite place, j’ai adoré. Or il y a 30 ans quand tu disais que tu vivais là, on se pinçait le nez en disant « Oberkampf, quelle horreur, comment tu peux habiter là ! » C’était un quartier avec que des dealers. À tel point que, pour l’anecdote, y’avait pas de citrons chez les épiciers parce que tous les drogués les volaient pour se faire des shoots, ça te donne un peu l’ambiance… Valéry-Rose ne manie pas la langue de bois. Elle dit ce qu’elle pense et ce qu’elle aime. D’ailleurs c’est son métier. De repérer, de sélectionner, de recommander, bref, d’avoir un avis. Un métier protéiforme, riche et foisonnant, comme son appartement. Si bien qu’il est difficile de lui donner un nom. Nous nous sommes mis d’accord sur Conseillère Artistique.
C’est ce qu’elle fait pour le Parcours Saint-Germain, un des événements d’art contemporain à ne pas manquer de ce printemps. Mais aussi pour ELLE, Le Bon Marché ou encore L'Oréal. J’ai vu le quartier changer depuis mes fenêtres. Au début, ce sont les archis, les designers et les artistes qui s’y sont installés à défaut de pouvoir trouver une place dans les beaux quartiers. Du coup, ils ont créé les Bobo quartiers. Avant, il n’y avait rien, et aujourd’hui, tout est à portée de main. Je viens encore de tester un spot fooding de dingue (toutes les bonnes adresses de Valéry-Rose en fin de reportage). Ça bouillonne, c’est très agréable. Alors pour moi, le « c’était mieux avant », non. Et maintenant, tout le monde me dit : « Oh là là, mais comment tu as eu cet appart ? Tu as trop de chance ! ». Bah j’y vis depuis 30 ans, les chatons !
Découvrons ensemble l’intérieur total de cette grande voyageuse et passionnée d’art contemporain. Je crois qu'il y a des parti pris artistiques assez forts. On y retrouve ma personnalité. Je suis une grande curieuse. Comme je regarde tout le temps les choses, ça me donne forcément des idées.
L’entrée vue depuis la salle à manger à travers l’arche, avec le bar – passe-plat de la cuisine. À l’origine, la cuisine était fermée par un mur porteur. Comme on ne pouvait pas l’enlever, Valéry-Rose a eu l’idée de faire des arches en jouant avec les formes pour leur donner du caractère. Au premier plan, un ensemble Tulip vintage par le designer Eero Saarinen.
Focus sur le sol en béton peigné et sur la superbe table basse de Milo Baughman. Je l’ai trouvée dans une brocante. Je chine depuis toujours. J’ai accumulé des objets depuis des années. Avec le temps, je m’épure. Cette table je l’adore. Elle me fait penser à des bijoux, à des alliances enlacées. Et en plus elle est hyper pratique.
Nous passons au salon, côté bibliothèque. Au premier plan, un fauteuil vintage récupéré par Valéry-Rose dans la poubelle et réparé au scotch. C’est devenu son fauteuil préféré. Dans le miroir Louis-Philippe, le reflet d’une oeuvre dont on vous parle dans un instant. On s’attarde sur le haut de la bibliothèque avec sa corniche multicolore. C’est le résultat d’un dégât des eaux. J’ai repris le contrôle en intervenant dessus. J’en pouvais plus de ce trou béant qui donnait dans le noir en attendant que les assurances fassent quelque chose. Je me suis inspirée de l’artiste Katharina Grosse. J’ai fait ça en plein hiver. Il faisait hyper froid. À la Glycéro. On ne pouvait pas ouvrir les fenêtres, on était à moitié droguées avec Blue, ma fille. J’ai aussi peint mon compteur à gaz en rose fluo. Donc je fais souvent des bêtises. C’est un appartement labo.
Le salon dans sa largeur. On retrouve au premier plan la table basse de Milo Baughman. Mais notre regard est happé par celui qui transperce le cadre placé au dessus d’un canapé Conran Shop. Il s’agit d’une oeuvre de Brian Calvin. Ce peintre était devenu une obsession. Je l’ai voulu tellement que j’ai soulé la galerie. Je l’ai harcelée pour être la première à voir ses nouvelles toiles. Car sinon, tout est vendu en avant-première et quand les visiteurs lambdas arrivent, tout est déjà parti. D’habitude ils livrent dans des grands lofts à New-York. Mais en fait ils étaient ravis de vendre à une passionnée. Ça les change des spéculateurs. Ça peut être dangereux l’art. Comme dans une relation d’amour. Après la passion, il peut y avoir une rupture brutale. Mais là, non. Ça fait 4 ans que je l’ai et je l’aime de plus en plus.
Comme un lien évident entre les pièces, la lampe Baobab passe le relais à un fauteuil Tulip. Au sol, ainsi que dans la majeure partie de l’appartement, un béton ciré. Comme le reste de l’appartement, il est vivant, il évolue au fur et à mesure. Je rajoute des paillettes dans les craquelures. Je m’inspire du Kintsugi, une tradition japonaise qui consiste à réparer les céramiques avec de la laque recouverte de feuille d’or pour les rendre encore plus belles.
Nous passons au grand bureau – atelier, l’ex-chambre du fils de Valéry-Rose avant qu’elle ne rachète le studio mitoyen pour en faire une grande chambre d’enfants à la naissance de sa fille. Au début, je m’en servais beaucoup. À l’époque, on faisait tout à la main. Maintenant, avec l’ordinateur, c’est différent. Je m’en sers de moins en moins. C’est la pièce que je veux transformer en dressing – chambre d’amis.
On remarque au plafond un superbe lustre italien des années cinquante en fer forgé à la main, équipé de fleurs en céramique. Au mur, un bureau suspendu qui rappelle le grand bureau de la pièce voisine. Le pouf est de la même matière que le coussin du chien ! La créativité n’empêche pas la cohérence ! C’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît une direction artistique.
Dernière pièce de l’appartement, et non la moindre, la salle de bain, avec ses influences marocco-seventies. On retrouve le goût de Valéry-Rose pour la rondeur et les miroirs. On remarque une multitude d’éclats brillants incrustés dans le tadelakt. Ce sont des micro-miroirs ramenés d’Inde. À gauche, dans les compartiments de rangement, se logent deux chevets empilés de Raymond Loewy ! Avec leurs formes douces et brillantes, on croirait qu’ils ont été conçus sur mesure. Au mur, un miroir papillon anglais art déco.
Photographies : Fabienne Delafraye, www.fabiennedelafraye.com
Texte : Jean Desportes
Réalisation : Valery-Rose Pfeifer et Marie Déroudilhe (cuisine)